On a tendance à l’oublier, mais être développeur, ce n’est pas seulement travailler dans le web. Parmi les autres secteurs pouvant être envisagés par une personne ayant des compétences en programmation, que dire de celui du jeu vidéo ? Les adeptes de gaming sont nombreux, mais est ce un critère suffisant pour souhaiter passer de l’autre coté de l’écran ?
Afin d’en savoir plus sur ce sujet, nous avons décidé de nous entretenir avec Marc Kruzik. Développeur sénior, ayant une forte expérience en C#, .NET, mais également Unity, Marc a eu un parcours riche en expériences dans des industries variées. Il connait le métier de développeur web aussi bien que celui de développeur de jeux vidéo. Créateur de God is a Cube, jeu d’apprentissage à la programmation sélectionné dans plus de 25 festivals et lieux (dont l’école 42 et le Centre Pompidou), il est également l’organisateur du Café des programmeurs, un meetup hebdomadaire regroupant des personnes pratiquant la programmation. Si vous avez déjà songé à devenir développeur de jeux vidéo, son témoignage permettra d’étoffer votre réflexion sur le sujet.
Quelles sont les options qui s’offrent à un étudiant qui souhaite devenir développeur de jeux vidéo ?
Le monde du développement de jeux vidéo est, sur ce sujet, bien moins ouvert que celui du développement web. Pour devenir créateur de jeux vidéo, il faut passer par un cursus de 5 ans en école spécialisée. Il faut savoir que ces écoles coûtent parfois jusqu’à 9000€ l’année. Cela met déjà une barrière économique. Tout le monde ne peut pas se payer un tel cursus. Mais celui qui souhaite travailler dans cette industrie n’a pas vraiment d’autre choix que de passer par là.
Une fois sa formation terminée, est il simple pour lui de trouver un emploi ?
Justement, c’est là que se trouve le souci. Non, rien ne garantit à l’étudiant issu d’une de ces écoles qu’il va facilement trouver un emploi en tant que développeur de jeux vidéo par la suite. Il faut être conscient du fait que le nombre d’emplois dans cette industrie est en réalité très faible. Si on prend le cas de la France, cela représente environ 5 000 à 15 000 postes sur l’ensemble du territoire. En sachant que la France est un des pays où l’industrie du jeu vidéo est particulièrement développée !
Au-delà de ça, les tests d’entrée imposés aux candidats sont généralement rudes. J’ai parfois entendu parler de tests sur 6 jours où il était demandé aux candidats de concevoir un prototype de jeu vidéo… Les studios essayent de filtrer afin de ne garder que ceux qui sont vraiment passionnés.
Toi qui connais le métier de développeur de jeux vidéo, et également celui de développeur web, quelles différences vois-tu entre ces 2 métiers ?
Déjà, comme je l’ai dit précédemment, le métier de développeur web est beaucoup plus accessible, et offre beaucoup plus d’opportunités différentes.
Ensuite, d’un point de vue purement technique, pour reprendre une citation connue dans le milieu, “le développement web est basé sur des standards, le développement de jeux vidéo est basé sur des monopoles”. En effet, le web comporte de nombreux standards par rapport auxquels l’étudiant va devoir monter en compétences, et auxquels il devra se conformer. Être développeur web de nos jours, c’est connaître les syntaxes JSON ou YAML, c’est savoir comment est constituée une API REST, ou encore comment mettre en place l’architecture MVC dans le cadre de l’élaboration d’une application.
Dans le monde du jeu vidéo, tout tourne autour de langages et de technologies centrales. Le moteur de jeu Unity 3D est utilisé dans environ 50% des jeux vidéo étant sur le marché. Un développeur travaillant sur ce type de technologie aura un travail à fournir différent d’un développeur web. Le développeur Unity a l’habitude d’utiliser des plugins et des librairies toutes prêtes pour tout un ensemble de choses. A titre d’exemple, pour tout ce qui concerne la gestion des dialogues, il y a des librairies toutes prêtes qui permettent de gérer ça très rapidement et simplement. Le développeur de jeux vidéo devra surtout être capable de penser la création d’un jeu, d’un univers, il y a une part de créativité évidente.
Enfin, si l’on souhaite rentrer davantage dans le détail techniquement parlant, il faut évoquer le fait que tout ce qui est en rapport avec la latence et la gestion des performances occupent une place centrale dans le développement de jeux vidéo. Aucune erreur n’est tolérée à ce niveau là.
Pour reprendre une citation connue dans le milieu, “le développement web est basé sur des standards, le développement de jeux vidéo est basé sur des monopoles”.
Comment a évolué le secteur du jeu vidéo ? Le métier a-t-il changé au fil du temps ?
C’est un métier qui a changé en effet. Bien moins que le métier de développeur web cependant (voir à ce sujet notre précédente interview avec Jerry Dumont). Il y a tout d’abord un changement structurel qui est à noter, et qui a eu un impact sur le métier en lui-même, et sur le profil des gens qui le pratiquent. Il y a 15 ans, l’industrie du jeux vidéo était à la pointe de la technologie. En 2006, quand Nintendo sort la Wii, tout le monde est très enthousiaste et bluffé par cette console capable de détecter les mouvements du joueur à distance. Lorsque sort la Wii U, 6 ans plus tard, avec sa manette contenant un écran intégré, l’effet n’est cette fois-ci pas le même, car Apple a démocratisé, entre temps, l’utilisation de l’iPad. Cette tendance s’est poursuivie. En seulement quelques années, l’informatique grand public a explosé, et les technologies ont suivi : les réseaux sociaux, YouTube, GitHub, le big data, le cloud, l’intégration continue, les conteneurs Docker, l’intelligence artificielle… Lorsque j’ai commencé à créer des jeux vidéo, l’objet le plus technologique qu’on avait dans les mains était une console de jeux. Aujourd’hui, tout le monde a un smartphone.
À notre époque, les avancées technologiques sont plutôt issues du domaine des smartphones et du web, que de celui des jeux vidéo.
L’industrie du jeu vidéo a donc perdu cet aspect d’avant-garde technologique grand public, pour se concentrer sur des postes de niche à la frontière entre code et graphismes. Alors qu’à côté de cela, apprendre une simple technologie web permet de rejoindre une startup valant des milliards.
J’ai entendu dire que le développement du métavers vient offrir des opportunités supplémentaires aux personnes ayant un profil de développeur jeux vidéo, est ce que tu confirmes ?
Je tiens à dire à ce sujet que le metavers, ainsi que l’IA, le développement blockchain et les NFT représentent des opportunités très prometteuses pour toute personne ne souhaitant pas rester enfermée dans le secteur du jeu vidéo. Oui, il est vrai que le metavers utilise des technologies de visualisation graphique, et que par conséquent, une personne ayant des compétences en développement de jeux vidéo pourra facilement passer de l’un à l’autre. Cependant, il faut être conscient du fait que l’industrie du jeu vidéo est un domaine de passionnés. Ces personnes se considèrent comme des puristes, et pour eux, ces sujets ne sont pas dignes d’intérêt. Un “vrai” développeur de jeux vidéo n’a pas à aller faire du développement sur le metavers. Voilà l’état d’esprit qui règne. Du coup, dans les faits, il y a une frontière qui est établie.
Quel conseil donnerais-tu à un jeune qui est passionné par le domaine du jeu vidéo, et souhaiterait en faire son métier en devenant développeur dans ce secteur ?
Je lui dirais de faire preuve de prudence. Devenir développeur de jeux vidéo, c’est avant tout faire le choix d’intégrer un milieu de passionnés. Le rythme de travail que doit assumer un développeur de jeux vidéo est généralement très soutenu. Depuis quelques années, la lumière a été mise sur le crunch (période de travail intense durant laquelle les développeurs mettent les bouchées doubles pour terminer un projet) et les problèmes que cela peut engendrer en termes d’épuisement moral et physique. Certains studios tentent désormais de régler ce problème en gérant ces phases de façon différente. Mais il n’en reste pas moins que seule la passion peut permettre à un individu d’assumer le rythme de travail imposé. Tout en sachant que les niveaux de salaire n’ont pas beaucoup évolué, comparativement à ce qu’on voit dans le développement web. A ce sujet, il faut faire attention à ne pas se faire dépasser par sa passion. J’ai plusieurs fois entendu des personnes souhaitant devenir développeur de jeux vidéo me dire qu’elles étaient prêtes à diviser leur salaire par deux pour obtenir un poste qu’elles désiraient. Je conseille aux jeunes de faire attention sur ce point. Il ne faut pas accepter tout et n’importe quoi.
Tout ça pour dire qu’il s’agit d’un milieu au sein duquel la passion est le maître mot. On dit généralement que Pôle Emploi est le financeur principal de l’industrie du jeux vidéo, car il est fréquent de voir des développeurs travailler deux ans en studio, puis se mettre ensuite au chômage pour travailler sur un projet de jeu indépendant, entourés d’autres développeurs ayant fait comme eux… Le développeur de jeux vidéo est un profil qui se trouve à mi-chemin entre l’artiste et l’ingénieur. Il faut en être conscient et être sûr que cela puisse convenir à la personne qui se questionne sur son avenir professionnel. A titre d’exemple, pour ma part, j’ai compris avec le temps que ce qui me plaisait par dessus tout, c’était le côté visualisation graphique. Et, à ce niveau là, il n’y a pas que le secteur du jeu vidéo qui offre des opportunités.
Pour ceux qui souhaiteraient vraiment se lancer dans l’industrie des jeux vidéo, je conseillerais de viser les studios de grande et moyenne taille, qui proposent généralement une meilleure qualité de vie que les tout petits studios. Et surtout, de s’interroger sur les raisons qui les poussent à s’intéresser aux jeux vidéo. Mieux vaut être satisfait de son travail, que s’acharner à vivre de sa passion !
Pour les personnes particulièrement intéressées par le sujet et qui souhaiteraient avoir plus d’informations, n’hésitez pas à ajouter Marc sur LinkedIn.